L’épouse d’un bourgeois de l’Illinois décide de prendre les choses en main et d’inventer elle-même l’outil dont les femmes ont besoin.
Hier soir, le service fut impeccable. Dans la demeure à colonnades, les employées de maison s’affairent désormais à ranger les vestiges du somptueux dîner donné par M. et Mme Cochrane. Jusqu’à ce qu’un cri ne vienne lézarder les murs et fasse perler l’inquiétude sur les fronts des domestiques. Josephine Cochrane vient de découvrir qu’une nouvelle pièce de son service en porcelaine du XVIIe siècle est ébréchée. Trop c’est trop. Elle passe un savon à ses bonnes et leur interdit de toucher à sa vaisselle. Elle se chargera elle-même de la récurer. À moins qu’une bonne idée ne lui vienne à l’esprit.
Josephine Cochrane dispose de tout ce dont elle a besoin. Du temps, de l’argent de son époux et d’une éducation riche d’innovations. Son grand-père a breveté un bateau à vapeur et son père était ingénieur hydraulique. Elle possède l’assurance et le savoir-faire qu’il ne reste plus qu’à faire fructifier. Si monsieur est revenu bredouille de la ruée vers l’or, il a depuis fait fortune dans les fruits secs et fraie au sein du parti démocrate. Un entregent qui lui permet d’organiser de somptueux dîners avec la bourgeoisie locale, laissant à Josephine le soin de les organiser au cordeau.
Le petit personnel, ce n’est vraiment plus ce que c’était. Les bonshommes non plus.
Une réussite sociale, certes, mais régulièrement gâchée par ces déconvenues postprandiales. Le petit personnel, ce n’est vraiment plus ce que c’était. Les bonshommes non plus. Pour inventer un moteur à quatre temps ou une tondeuse à gazon mécanique, y’a du monde. Mais pour concevoir une machine capable d’aider les femmes au foyer, y’a plus personne. Ni l’engin en bois à manivelle de Joel Houghton, ni celui à engrenages de L.A. Alexander n’ont fait leurs preuves. Loin de là. Non, puisque c’est comme ça, Josephine va s’en charger elle-même !
Une chaudière en cuivre remplie d'étagères
La voilà à potasser quelques livres dans l’abri de jardin et à imaginer ce que sera sa version. Comme une ingénieure en herbe, elle dessine les premiers plans. Un nouveau passe-temps, pense son mari entre deux colères et trois whiskys. Seulement, William Cochran a la santé fragile. Il décède subitement et laisse derrière lui une fortune de… 1 500 dollars. Et une kyrielle de dettes. Ah ces bonshommes. Josephine n’a pas le choix, elle doit désormais aller au bout de sa démarche.
Lasse de voir sa vaisselle ébréchée, Josephine Cochrane se lance dans l'ingénierie de l'électroménager. © Alamy Stock Photo / Abaca - D.R.
Le 28 décembre 1886, le brevet du premier lave-vaisselle automatique lui est accordé.
Elle commence par mesurer chacun de ses plats et imagine une chaudière en cuivre munie d’une roue sur laquelle sont placées de petites étagères en métal destinées aux couverts, assiettes, tasses et saucières. Le tout équipé d’un moteur pompant une eau chaude devenant savonneuse, prête à laver les plats par sa seule pression. Aucune manipulation, donc aucun risque de casse. Ses lacunes en mécanique la poussent à montrer ses plans à quelques hommes avertis qui, au mieux, tentent de tout refaire à leur manière, au pire la découragent. C’est finalement grâce au mécanicien George Butters qu’elle construit son prototype. Le 28 décembre 1886, le brevet du premier lave-vaisselle automatique lui est accordé.
La consécration arrive en 1893, lorsqu’elle remporte un prix lors de l’exposition universelle de Chicago. Elle fonde alors la Garis-Cochrane Manufacturing Company, avec Butters pour directeur, et industrialise son produit. Imposante et relativement onéreuse, la machine Cochrane ne peut encore séduire les foyers. Hôtels, restaurants, hôpitaux et universités deviennent les premiers clients. Les ménagères attendront les années 1950 pour profiter d’une invention qui allège, un peu, leurs tâches quotidiennes. Sans savoir qu’elles le doivent à une femme et à sa devise : On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Vous lisez un article de L'Usine Nouvelle 3727 - Février 2024
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