Le retour des risques
L’économie française a-t-elle mangé son pain blanc ? Après l’euphorie de 2017, son moteur connaît des ratés. La production manufacturière patine, les créations d’emplois ont ralenti. Pour 2019, le gouvernement a dû ramener ses prévisions de croissance de 1,9 à 1,7 %, tandis que le FMI table sur 1,8 % de hausse du PIB en 2018. Pour l’instant, rien d’inquiétant à cette baisse de régime. L’économie en a encore sous le pied. La profitabilité des entreprises reste élevée, l’investissement productif demeure soutenu – les chefs d’entreprise prévoient encore d’augmenter leurs dépenses d’équipement de 4 % – et le moral des industriels se maintient à des niveaux historiques. En revanche, les menaces s’accumulent sur la croissance mondiale. "Le pic de croissance est désormais dépassé. Une goutte d’eau peut précipiter la fin du cycle de reprise ", prévient Julien Marcilly, le chef économiste de l’assureur-crédit Coface. De quoi rendre l’horizon plus incertain.
La guerre commerciale s’emballe
C’est "la menace la plus sérieuse à court terme", assurait au début de l’été le Fonds monétaire international. En cas d’escalade, les tensions commerciales entre les États-Unis et leurs principaux partenaires économiques pourraient amputer la croissance mondiale de 0,5 point de PIB d’ici à 2020, selon les calculs de l’institution de Washington. Pour l’instant, les hausses de droits de douane mises en place par les États-Unis et les représailles européennes et chinoises restent d’une ampleur limitée et n’ont pas eu d’effet direct sur la croissance. Tout dépendra en réalité des mesures prises au cours des prochains mois, alors que les signaux sont contradictoires. Donald Trump a demandé à son administration de préparer une nouvelle salve de 200 milliards de dollars de taxes sur les produits chinois et se dit prêt à taxer la totalité des importations de l’empire du Milieu. En revanche, la visite de Jean-Claude Juncker à Washington, fin juillet, a permis d’écarter, au moins pour quelques mois, la menace de taxes ciblant l’industrie automobile, qui auraient représenté 10 milliards d’euros, quatre fois plus que celles sur l’acier et l’aluminium. La signature d’un accord commercial avec le Mexique pour remplacer le traité de libre-échange nord-américain (Alena) rassure l’industrie automobile américaine, dont les usines sont réparties des deux côtés de la frontière. Mais "les tensions commerciales affectent déjà la confiance des chefs d’entreprise sur leurs perspectives à l’export dans de nombreux pays. Or cet effet est difficile à quantifier par nature", relève Julien Marcilly, le chef économiste de Coface. En incitant les industriels à reporter ou à annuler leurs investissements, elles risquent d’installer un cercle vicieux et de provoquer un coup de frein plus général. Le fabricant de machines Lectra a ainsi vu ses commandes chuter outre-Atlantique. "Les entreprises américaines ne croient pas encore tout à fait aux politiques protectionnistes de Donald Trump", prévient Ludovic Subran, le chef économiste d’Euler Hermes, qui pointe les volte-face incessantes de la Maison Blanche. La grogne des industriels automobiles américains et des agriculteurs victimes des rétorsions chinoises, pour lesquels l’administration américaine a dû débloquer 12 milliards de dollars d’aide d’urgence, pourrait inciter à la détente après les élections de mi-mandat. Et permettre d’éviter le pire.
L’Italie ménage la zone euro
Le test devrait intervenir rapidement. Le gouvernement italien formé par la Ligue et le mouvement Cinq étoiles doit transmettre en octobre à la Commission européenne son projet de budget pour 2019 et confirmer l’ampleur des hausses de dépenses prévues et du creusement du déficit public qu’il compte réaliser, alors que la Banque d’Italie a révisé à la baisse la prévision de croissance pour le pays à 1,3 % en 2018. Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition populiste, son programme économique reste flou. Après l’effondrement du viaduc autoroutier de Gênes, le président de la Ligue et ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, a promis un grand programme d’infrastructures et menacé de suspendre sa contribution au budget européen. L’incertitude a fait grimper les taux d’emprunt italiens à dix ans à 3 % durant l’été, contre près de 1 % six mois auparavant, certes encore loin des 6,5 % atteints en 2011. Or l’économie italienne reste fragile et compte toujours 7 % d’entreprises en difficulté, souligne Coface. De quoi rallumer la crainte d’une nouvelle crise de la zone euro si l’exécutif joue l’affrontement avec Bruxelles ? "Il y a une normalisation économique des partis populistes lorsqu’ils arrivent au pouvoir et la coalition italienne fera certainement preuve de pragmatisme ", tempère Christopher Dembik, l’économiste de Saxo Bank. Mais "les marchés étaient jusqu’à présent incroyablement décontractés. On risque d’en sortir avec la fin du quantitative easing [assouplissement quantitatif, ndlr] et les tensions géopolitiques", souligne tout de même Agnès Bénassy-Quéré, économiste à l’université Paris 1, pour qui le gouvernement italien risque d’assombrir les perspectives de soutenabilité de la dette en détricotant les réformes des retraites et du travail. L’Italie n’est pas la seule source d’incertitude politique en Europe. La perspective d’un "no deal" avec le Royaume-Uni après le Brexit en mars prochain pourrait aussi peser sur la croissance. La décélération des échanges avec la Grande-Bretagne et l’attentisme ont déjà coûté, selon Euler Hermes, 4 milliards d’euros aux entreprises françaises depuis 2016. Le sommet européen des 18 et 19 octobre doit clarifier les positions de chacun pour définir les termes de la relation spéciale entre l’Union et le Royaume-Uni.
Le pétrole grimpe encore
Fini le baril de Brent à 50 dollars de l’été 2017. En un an, le cours du pétrole a augmenté de près de 50 %, pour s’établir fin août autour de 75 dollars pour le Brent. Malgré la hausse de la production de l’Arabie saoudite cet été, l’offre reste insuffisante pour faire face à la demande mondiale. Mais "pas de retour à un pétrole à 110 dollars. L’Opep a augmenté sa production et la croissance mondiale montre des signes de ralentissement ", estime Julien Marcilly, le chef économiste de Coface. Sauf crise géopolitique majeure, il est peu probable que le prix du pétrole continue son envolée. "Les marchés à terme indiquent que les cours vont probablement baisser au cours des quatre à cinq prochaines années, en partie à cause de l’augmentation de la production de gaz de schiste américain ", tempère lui aussi le Fonds monétaire international, dans ses prévisions de juillet. De quoi contenir ses effets sur la hausse des prix. En juillet, l’inflation a atteint un pic inédit à 2,3 % en France. Sur l’ensemble de l’année, elle devrait atteindre 1,8 %, selon l’Insee. "La hausse du pétrole a mangé le pouvoir d’achat", affirme Patrick Artus, le chef économiste de Natixis, inquiet sur le dynamisme de l’activité l’an prochain.
Les émergents tanguent
Les tensions diplomatiques avec les États-Unis n’ont rien arrangé. Depuis le début de l’été, la devise turque a perdu 25 % de sa valeur par rapport au dollar. L’effondrement tient avant tout aux handicaps structurels du pays. L’inflation dépasse 15 %. La croissance devrait ralentir à 3,7 % en 2018, selon Euler Hermes, et les entreprises se sont beaucoup endettées en devises étrangères, principalement en dollars. La chute de la livre turque a fait grimper leurs remboursements. D’autres pays émergents se sont aussi mis à tanguer. L’Argentine a fait appel au FMI au début de l’été, le rouble russe et le rand sud-africain ont été secoués. Le resserrement monétaire entamé par la Réserve fédérale américaine (FED) pour limiter la surchauffe de son économie, qui se poursuivra en 2019, risque d’aggraver les difficultés des émergents ayant d’importants déficits extérieurs. "Les États-Unis vont capter une part croissante de la liquidité en dollars", souligne-t-on chez Euler Hermes. Mais les facteurs de risque ne sont pas les mêmes qu’en 2013, lors de la précédente montée des taux de la FED. "Les grands émergents sont moins en difficulté, même si les problèmes politiques demeurent", estime Christopher Dembik, l’économiste de Saxo Bank.
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