Révolution dans les directions financières

Le gel des flux financiers de l’automne 2008 a poussé les responsables financiers à revoir leurs modes de fonctionnement.

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Révolution dans les directions financières
Depuis 2014, Lendix a prêté près de 220?millions d’euros à des PME.

"Cétait une catastrophe, une impression de fin du monde, se rappelle Véronique Nassour. Tout le système financier était gelé et ne pouvait plus opérer aucun flux instantanément." Aujourd’hui déléguée générale de l’Association française des trésoriers d’entreprise (Afte), elle était à l’époque directrice Europe de la trésorerie et du crédit client d’une multinationale américaine de l’industrie papetière. Une fonction en première ligne au moment de la crise qui a frappé l’économie mondiale suite à la faillite de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre 2008. "Tout à coup, vous devenez visible dans l’entreprise et l’on vous questionne " s’amuse Emmanuel Rapin, le directeur trésorerie, financement et assurances du groupe Lagardère, qui travaillait chez Rhodia (devenu Solvay) en 2008. Les directions générales des entreprises ont soudain pris conscience que l’argent, une fois gagné, risquait de disparaître aussi vite. "À cette époque, beaucoup d’entreprises étaient très dépendantes des banques pour leurs liquidités, rappelle Emmanuel Rapin. Quand l’une tombe, on se demande quelle sera la suivante." Face à la panique sur les marchés financiers, les industriels ont dû réagir vite. D’abord en s’assurant de la solidité de leurs partenaires financiers. Ensuite en vérifiant qu’elles pouvaient accéder à des liquidités pour faire face à leurs paiements quotidiens, puis en sécurisant leur capacité d’emprunt.

Les répercussions de cette déflagration ont profondément modifié la manière dont les entreprises gèrent le nerf de la guerre. "Le réveil a été brutal pour les directions financières, qui se sont rendu compte que la relation avec leur banque n’était pas si solide", remarque Didier Philouze, le directeur chargé du conseil en financement du cabinet Redbridge. Le risque de contrepartie est devenu un sujet récurrent dans les plus hautes sphères de l’entreprise. Les directions financières se sont mises à scruter avec plus d’attention la notation de crédit de leur banque et non plus à faire confiance, les yeux fermés, à leur banquier habituel. La prudence est devenue de mise aussi bien pour le choix des banques que pour la gestion au quotidien des liquidités. "Cela a changé la perspective des trésoriers pour les placements de trésorerie, souligne Véronique Nassour. Avant, ils évaluaient les excédents de cash et celui qui offrait le meilleur taux l’emportait. Après la crise, il a fallu répartir les sommes sur plusieurs contreparties, sur chacune desquelles nous fixions une limite."

Diversification des sources de financement

Les directions financières en ont profité pour assainir la gestion de leur argent. "Les entreprises sont plus vigilantes sur la visibilité de leur cash dans toutes leurs entités, assure Guillaume Roudeau, le directeur du conseil en trésorerie de Redbridge. Elles veulent avoir une position de leurs liquidités quotidienne ou hebdomadaire et des prévisions de trésorerie fiables." Profitant des taux d’intérêt très bas, elles ont renégocié leurs emprunts, voire racheté leurs anciennes dettes cotées quand leur prix a chuté. Elles s’assurent de conserver un trésor de guerre. Selon une étude de Redbridge, les entreprises non financières du SBF 120 cumulaient un pactole de 276 milliards d’euros de trésorerie en 2016. Et encore aujourd’hui, du fait des taux bas, les enquêtes de l’Afte sur le comportement des trésoriers d’entreprise montrent qu’autour de 30 % d’entre eux prévoient de négocier des facilités de crédit.

La manière de se financer a beaucoup évolué également. Le fameux "credit crunch" – la réduction de l’offre de crédit – n’a pourtant pas eu les conséquences dramatiques redoutées. La Banque centrale européenne (BCE) a rapidement pris le relais du crédit interbancaire, redonnant un semblant de confiance dans le système financier dès 2009. Puis, sous l’effet de l’injection massive de liquidités par la BCE et de la chute des taux d’intérêt, les banques ont pu se remettre à faire crédit. Mais le pli était pris. Les entreprises ont peu à peu cherché à diversifier leurs sources de financement, aidées en cela par la réglementation. Les accords de Bâle III, du nom du règlement qui fait frémir les banquiers en imposant aux banques des ratios de fonds propres, les ont poussées à abandonner les crédits trop risqués. Le législateur français a donné des armes aux concurrents des banques. En 2013, le gouvernement de François Hollande a flexibilisé le code des assurances pour permettre aux assureurs de prêter plus facilement à l’économie. "Face au besoin de rendement, les investisseurs institutionnels sont entrés dans une multitude de fonds de prêt en direct sur différents types d’interventions plus risquées, explique Didier Philouze. Il y a deux ans, il n’existait presque rien en dehors du prêt bancaire et des placements privés classiques." Aujourd’hui, les grandes entreprises ont le choix entre les billets de trésorerie, les placements privés en euros (Euro PP) créés en 2012, les Schuldschein, ces emprunts auprès d’investisseurs allemands qui reviennent en vogue… Ces outils sont non seulement de plus en plus demandés, mais ils se démocratisent vers des ETI.

Ouverture du capital aux investisseurs

C’est l’autre effet de la crise. Les PME et les ETI, peu enclines à s’intéresser à la gestion financière, ont dû s’y mettre. Elles se sont appuyées sur la médiation du crédit, un service croisé entre le ministère de l’Économie et la Banque de France, pour renouer le dialogue avec leurs banques. Créé en 2008, le dispositif a été renouvelé tous les ans, même si les tensions dues à la crise sont retombées. Les experts de la Banque de France continuent à aider les entreprises à gérer la relation bancaire et ont encore reçu 2 302 dossiers de médiation en 2017, dont 1 514 étaient éligibles. Les PME ont aussi profité de la montée en puissance de Bpifrance, qui a lancé des services comme le préfinancement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) pour assurer un fonds de trésorerie. Comme les grands groupes, elles ont dû renforcer leurs fonds propres. Elles hésitent de moins en moins à faire entrer au capital un investisseur extérieur. Les fonds d’investissement n’ont jamais autant travaillé, avec plus de 14 milliards d’euros investis dans 2 100 sociétés non cotées en 2017. Enfin, elles ont bénéficié des nouveaux outils nés de la révolution numérique de la finance.

En dix ans, les fonctions financières ont pris du galon dans l’entreprise. Le trésorier a dû monter en compétences pour connaître les nouveaux produits, pour savoir comment fonctionnent ses partenaires financiers afin de mieux négocier, mais aussi pour répondre à l’inflation réglementaire qui l’oblige à faire plus de reporting. Reste à savoir si ces nouvelles pratiques rendront les entreprises plus solides. Le premier test se fera sans doute lorsque les taux d’intérêt commenceront à remonter.

Les alternatives à la banque se font une place

"Nous avons mis vingt-huit mois pour prêter les premiers 100 millions d’euros et seulement onze mois pour les suivants", se félicite Olivier Goy. Le fondateur de Lendix a créé sa plate-forme de prêt participatif en 2014 en France, puis l’a ouverte en Espagne, en Italie et bientôt aux Pays-Bas. Lancée à destination des PME, la plate-forme a aussi attiré des ETI. Saint Jean Industries, un équipementier automobile, a contracté trois prêts sur Lendix pour compléter ses financements bancaires. Cette start-up est un enfant indirect de la crise. Les plates-formes numériques de crowdfunding, sur lesquelles une foule d’internautes peuvent donner, prêter ou investir dans un projet, sont nées de la frustration de geeks face à une finance sans visage. Et cela a pris. Le financement participatif ne cesse de croître (+ 44 % en 2017). Et d’autres outils ont suivi, comme des solutions de gestion financière (Finance active), de gestion des changes (Kantox) ou encore proches de l’affacturage en ligne (Finexkap, Créancio…). "Nous sommes un véritable complément du système bancaire, estime Olivier Goy. Nous finançons par exemple l’immatériel, ce que ne font pas les banques."

 

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